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Recrutement en Mauritanie : Un Marché de l’Imposture et des Illusions

Par Oumar Sy

Il y a des vérités qu’on préférerait taire, des réalités qu’on enrobe de discours creux pour éviter d’affronter leur poids. Le recrutement en Mauritanie, tel qu’il se pratique aujourd’hui, est l’une de ces vérités désolantes. C’est un théâtre où chaque acteur joue un rôle qu’il maîtrise mal : des entreprises enfermées dans une arrogance structurelle, des candidats égarés, et un marché du travail qui tourne à vide, figé entre incompétence institutionnalisée et ambitions démesurées.

Les brandissent leurs offres d’emploi comme des trophées, sans jamais questionner leur propre incapacité à structurer une vision claire des compétences dont elles ont réellement besoin. Elles exigent l’excellence sans offrir le cadre minimal pour la nourrir. Leurs annonces, souvent copiées-collées, reflètent une paresse intellectuelle qui trahit une méconnaissance totale de la dynamique du capital humain. Elles réclament dix ans d’expérience pour des postes de débutants, confondent diplômes et savoir-faire, et oublient que la formation n’est pas une faveur accordée au salarié, mais une condition sine qua non de la compétitivité.

Ensuite, il y a les candidats. Loin d’être épargnés, ils incarnent un autre pan du problème. Beaucoup arrivent avec des CV qui sont davantage des récits fictifs que des reflets sincères de leurs compétences. Ils maîtrisent l’art de gonfler des expériences insignifiantes, transformant une semaine de stage en “expertise éprouvée”. Mais peut-on vraiment les blâmer ? Le système lui-même ne leur a jamais appris à construire une identité professionnelle authentique. Les formations, souvent obsolètes et déconnectées des réalités du marché, produisent des diplômés qui savent tout, sauf ce qu’ils doivent réellement faire. La recherche d’emploi devient alors un jeu de survie, où la ruse supplante le mérite, et où le réseau personnel pèse plus lourd que la compétence.

Et puis, il y a cet entre-deux : l’espace sombre et silencieux où les promesses s’effacent. C’est là que gisent des milliers de CV oubliés dans des boîtes mail, des candidatures jamais lues, des entretiens où les questions importent moins que le statut social du postulant. On recrute pour plaire, pour maintenir un ordre établi, jamais pour construire un futur. Les entreprises préfèrent miser sur la docilité plutôt que sur l’innovation, sur la conformité plutôt que sur l’audace. Le recrutement devient alors un simple rouage de maintien des hiérarchies existantes, un mécanisme de reproduction sociale où l’ambition est perçue comme une menace.

Mais peut-on encore parler de recrutement quand les postes restent des forteresses inaccessibles pour ceux qui n’ont pas les “codes” ? Ces codes, qu’on ne trouve pas dans les livres mais dans les salons feutrés des élites, divisent le marché en deux : ceux qui ont le privilège d’être recommandés et ceux qui se battent pour exister dans un système qui les ignore. Les Mauritaniens talentueux, qu’ils soient issus des zones rurales ou des quartiers populaires, sont souvent exclus de facto, non pas parce qu’ils sont incompétents, mais parce que leur parcours n’entre pas dans le cadre étroit des attentes des recruteurs.

Le problème est aussi systémique. La Mauritanie est un terrain où les mots “ressources humaines” sont dénués de sens. Les entreprises ne comprennent pas que le recrutement est une science, une ingénierie sociale qui nécessite des outils, des données, une vision. Elles s’accrochent à des processus archaïques, improvisent des méthodes de sélection, et pensent qu’un entretien de trente minutes suffit à jauger le potentiel d’un individu. Le concept même de “talent management” est perçu comme un luxe inutile, alors qu’il devrait être le cœur battant de toute organisation.

Mais au-delà des structures, c’est toute une mentalité qu’il faut déconstruire. En Mauritanie, le travail est perçu comme un privilège et non comme un droit. Cette vision pervertit le lien entre employeur et employé, en instaurant une dynamique de dépendance où le candidat est toujours redevable, jamais légitime. Il en résulte un marché du travail où la méritocratie est un mythe, et où l’inégalité d’accès n’est pas seulement tolérée, mais érigée en norme.

La solution, si tant est qu’elle existe, passe par une révolution conceptuelle. Le recrutement doit être repensé non comme un simple processus d’acquisition de compétences, mais comme un acte de foi en l’avenir. Il ne s’agit pas seulement d’embaucher, mais de parier sur le potentiel, d’investir dans l’humain avec la même ferveur qu’on investit dans des infrastructures. Les entreprises doivent apprendre à voir au-delà des diplômes, à valoriser les compétences transférables, à accepter que former un employé n’est pas une dépense, mais un investissement.

Et les candidats ? Ils doivent réapprendre à se vendre, mais surtout à se connaître. Il ne s’agit pas de gonfler des CV, mais de construire une narration authentique, de transformer leurs parcours, aussi atypiques soient-ils, en forces. La société civile, les institutions éducatives, les associations doivent jouer leur rôle en instaurant des espaces d’apprentissage, des laboratoires d’expérimentation où le talent brut peut être poli.

Le marché du travail mauritanien n’a pas besoin de recruteurs, il a besoin de visionnaires. Ceux qui comprennent que le véritable enjeu n’est pas de remplir des postes, mais de transformer des vies. Le jour où nous cesserons de considérer les candidats comme des chiffres ou des profils, mais comme des êtres humains dotés d’un potentiel infini, ce jour-là, peut-être, nous aurons fait un pas vers une Mauritanie où le travail ne sera plus un luxe, mais une dignité accessible à tous.

Coach Oumar Sy.

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