Le soleil déclinait doucement sur Mbagne, enveloppant le village d’un voile doré, baigné dans une lumière douce qui semblait suspendre le temps. Le murmure du fleuve Sénégal résonnait comme une musique lointaine, mystérieuse et envoûtante, un chant ancien porteur des récits et secrets des âges passés. Ici, tout semblait imprégné d’une solennité et d’une beauté que seule une terre ancestrale peut offrir. Je me tenais là, témoin privilégié de ces instants où se mêlent histoire et éternité, et où chaque pierre, chaque arbre, chaque sourire esquissé racontait une histoire bien plus vaste que celle de la vie humaine.
À 17 heures précises, sous un ciel de feu, la caravane de santé s’ouvrait dans un silence empreint de gravité. La place centrale de Mbagne, transformée en un théâtre de solidarité, s’animait d’une ferveur discrète mais profonde. Les autorités locales, dignitaires respectés et gardiens des traditions, s’étaient avancés avec une démarche noble, leurs visages illuminés d’un éclat solennel, témoin de leur engagement envers leur communauté. Ce rassemblement avait la force d’un rituel ancestral, d’un serment renouvelé envers cette terre qui les avait nourris et façonnés.
À mes côtés, Tonton Ousmane Sarr, figure emblématique et coordinateur de la caravane, incarnait par sa seule présence la bienveillance et la force d’un homme enraciné dans ses valeurs. Son regard, profond et attentif, semblait capter chaque détail, chaque expression, comme s’il cherchait à s’assurer que chacun trouvait sa place dans cet instant sacré. Il dirigeait les bénévoles d’un geste, d’un mot, avec la maîtrise sereine de celui qui connaît le poids de la responsabilité et la valeur du devoir accompli. La caravane n’était pas une simple action, mais un acte de foi, une offrande collective à la communauté, où chaque soin prodigué, chaque médicament distribué devenait une promesse d’avenir.
Durant trois jours, je me suis tenu face à des hommes et des femmes de tous âges, venus écouter, apprendre, partager. Leur regard, grave et bienveillant, m’interrogeait, me sondait, comme si à travers moi ils cherchaient à capter une part de ce monde extérieur, tout en y insufflant leur propre sagesse. Il y avait parmi eux des jeunes assoiffés de découvertes, des adultes en quête de nouveaux horizons, et des anciens, gardiens silencieux de la mémoire de Mbagne, qui semblaient eux-mêmes incarner le fleuve par leur calme et leur profondeur.
Mohamed Mangane, fidèle ami et compagnon d’enseignement, ajoutait à chaque moment une touche de vivacité et de bonne humeur. Son sourire éclatant était comme une lumière apaisante, une promesse d’avenir, rappelant à chacun que l’apprentissage, même dans sa profondeur, pouvait être un acte joyeux. Ensemble, nous avons partagé notre savoir sur l’entrepreneuriat, le marketing digital, et la transformation des fruits et légumes. Mohamed, avec sa passion pour la gestion de projet, capturait l’attention de tous, transformant chaque concept abstrait en une leçon de vie ancrée dans leur quotidien.
Parmi les participants, un vieil homme se leva un jour, la peau marquée par le temps, le regard chargé de mystères. D’une voix douce mais empreinte d’une sagesse infinie, il prononça des paroles qui résonnèrent comme une prière : « Ici, nous vivons avec le fleuve, mais nous savons que nous ne sommes pas seuls. Le JoOm Mayo, le maître des eaux, veille, et nous nous inclinons devant son règne invisible. » Ses mots flottaient dans l’air, tels des échos d’une vérité immuable, évoquant un savoir profond que le temps n’avait jamais altéré. Dans ses yeux, je lisais la mémoire des ancêtres, l’héritage des générations, un lien sacré avec le fleuve, ce compagnon éternel des âmes de Mbagne.
À Mbagne, le fleuve n’est pas qu’un cours d’eau ; il est une entité, un souffle, une âme. Les récits qui l’entourent, transmis de bouche en bouche, lui confèrent une dimension mystique, quasi divine. On raconte que le JoOm Mayo, gardien invisible du fleuve, impose sa loi à ceux qui s’aventurent sur ses eaux sans respecter les règles. Parfois, un moteur s’arrête inexplicablement, la pirogue reste figée en plein courant, signe que le maître des lieux a voulu rappeler sa présence. Ces récits, ces anecdotes mystérieuses, rappellent à chacun que l’eau qui les nourrit peut aussi se transformer en une force implacable.
Les anciens parlent d’âmes perdues, d’ancêtres qui ont emporté avec eux les secrets du fleuve, des interdits qu’ils avaient inscrits dans les cœurs. Ils évoquent ces heures interdites où nul ne doit pêcher, ces moments sacrés où l’eau devient silence, où le JoOm Mayo impose son autorité sans un mot. Une vieille légende raconte l’histoire d’une jeune fille qui, par arrogance, prétendait être la petite-fille du génie des eaux. Lors d’un repas, elle fut soudain prise d’une douleur, une arête de poisson s’étant coincée dans sa gorge, comme une punition silencieuse pour sa présomption. Ces récits, enveloppés de mystère, confèrent au fleuve un caractère sacré, imposant, et rappellent aux habitants qu’ils ne sont que des hôtes sur ses rives.
Les Tchioubalo, cette ethnie de pêcheurs, incarnent mieux que quiconque ce respect ancestral. Leurs gestes sont empreints d’une précision et d’un respect presque religieux pour le fleuve. Ils connaissent les courants, les heures propices, les dangers invisibles. En les observant, j’ai saisi toute la beauté de leur savoir, transmis avec humilité, comme une prière offerte à l’eau qui les nourrit.
Avec Mohamed comme guide, j’ai découvert un monde où chaque porte menait à un cousin, un frère, un ancêtre. À Mbagne, les liens de parenté sont bien plus que des mots ; ils sont la sève de cette terre. Chacune de mes rencontres me faisait pénétrer un peu plus dans le cœur de cette communauté où l’isolement n’existe pas. Les maisons s’ouvrent les unes aux autres, les familles se mêlent, les générations se croisent, créant un tissu humain d’une profondeur inégalée. Ici, l’individualisme n’a pas de place. La solidarité, l’entraide, le respect des aînés, tout respire l’unité.
Les femmes, piliers de cette communauté, veillent avec sagesse et dévouement. Dans leurs yeux, j’ai lu l’amour pour leurs enfants, la fierté de leurs jardins, la dignité d’un travail accompli sans relâche. Ces visages, marqués par le soleil et les années, racontaient une histoire de persévérance et de résilience, un lien indéfectible avec la terre, avec le fleuve, avec la vie elle-même.
Les jours se sont écoulés comme un rêve, et déjà l’heure du départ approchait. Alors que je m’apprêtais à reprendre la route pour Nouakchott, je ressentis un pincement au cœur. Mbagne n’était plus pour moi un simple village, mais un lieu de mémoire, un sanctuaire où j’avais redécouvert l’essence de ce que signifie appartenir à une communauté, respecter les traditions, honorer les anciens. Je repartais, mais chaque regard, chaque parole, chaque rire résonnait en moi comme une promesse, celle de ne jamais oublier la profondeur de cette rencontre.
De retour à Nouakchott, je reprendrai mes activités, mais avec une nouvelle perspective. Mbagne m’a appris la patience, la modestie et le respect de ce qui nous entoure. Désormais, chaque projet, chaque stratégie que je mènerai portera en elle une part de cette sagesse ancestrale, un hommage discret à cette terre qui m’a accueilli, et à ses habitants qui m’ont ouvert les portes de leur monde.
Ainsi s’achève cet épisode, hommage aux mystères et aux secrets de Mbagne, où le fleuve murmure ses légendes, et où chaque visage, chaque mot, porte en lui l’empreinte de l’éternité.
Coach Oumar Sy
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