La Mauritanie est un kaléidoscope vivant, où chaque fragment culturel reflète une partie d’un tout complexe. Ici, le marketing ne peut se contenter d’être une mécanique importée, mais doit s’ancrer dans une approche profondément anthropologique et contextuelle. Segmenter un marché comme celui de la Mauritanie, c’est bien plus qu’un exercice technique : c’est une plongée dans les strates invisibles des identités sociales, des pratiques culturelles et des aspirations collectives. Ce travail exige finesse, humilité et une rigueur analytique qui dépasse les outils classiques du marketing pour embrasser la sociologie, la sémiologie et même la philosophie politique.
Prenons l’exemple d’une entreprise agroalimentaire qui cherche à introduire un nouveau produit dans des rizières, au cœur des terres Peules, tout en visant également les quartiers urbains où cohabitent Wolofs, Haratines et Maures. Cette démarche soulève immédiatement des questions importantes : Le riz, produit universel en apparence, est-il perçu de la même manière par ces communautés ? Chez les Peuls, le riz porte une valeur symbolique, utilisée au quotidien et lors des grandes cérémonies, et son conditionnement doit refléter ce statut. Une marque qui comprend cette dimension culturelle pourra proposer des emballages aux codes visuels rappelant les motifs peuls, tout en communiquant sur les valeurs de respect et de transmission. À Nouakchott, où les Haratines forment une part importante des consommateurs, le riz doit répondre à des exigences d’accessibilité économique tout en mettant en avant une qualité adaptée aux grands repas communautaires. Les Maures, quant à eux, valorisent l’esthétique et le raffinement : ici, l’argument premium, appuyé par une communication visuelle élégante, pourrait séduire un segment plus aisé.

Mais comment faire coexister ces stratégies sans tomber dans une segmentation rigide qui cloisonne davantage une société déjà fragmentée ? La réponse réside dans une approche hybride, capable de jouer sur les points communs tout en respectant les singularités. Une marque doit devenir un miroir de la diversité culturelle, mais aussi un outil pour promouvoir une cohésion sociale. Cela exige de maîtriser l’art du storytelling, non pas comme une simple technique narrative, mais comme une science des récits partagés. Une publicité pourrait, par exemple, suivre le parcours d’un sac de riz traversant des familles de différentes origines, symbolisant l’unité et la richesse collective de la Mauritanie.
La segmentation, dans ce contexte, ne peut être réduite à une simple matrice Excel. Elle nécessite une lecture fine des comportements, des motivations et des freins, éclairée par une analyse sémiologique des symboles, des couleurs et des discours qui résonnent avec chaque communauté. Une étude menée auprès des consommateurs Haratines, par exemple, pourrait révéler que le prix n’est pas le seul critère déterminant : l’implication sociale d’une entreprise, notamment son engagement en faveur de l’éducation ou de l’accès aux soins, peut devenir un levier puissant pour créer une relation de confiance. Chez les Wolofs, souvent associés à des métiers artisanaux, une marque qui valorise l’artisanat local à travers ses packagings ou ses campagnes publicitaires gagnera en authenticité et en fidélité.

Mais toute cette ingénierie sociale et commerciale se heurte à une réalité incontournable : la perception de l’autre. Dans une société où les différences ethniques et économiques sont parfois sources de tension, le marketing doit jouer un rôle éducatif, voire cathartique. Il ne s’agit pas seulement de vendre un produit, mais de réconcilier des imaginaires. Lorsque les marques mettent en avant des visages Peuls, Haratines, Maures ou Soninkés dans leurs campagnes, elles ne font pas simplement un choix esthétique : elles prennent position dans le débat identitaire, en affirmant que chaque groupe est une part essentielle du récit national.
Le marketing mauritanien doit donc évoluer. Il ne peut plus se contenter d’être transactionnel ou mimétique des modèles occidentaux. Il doit devenir un outil d’inclusion, capable de transformer les différences en richesse et les tensions en opportunités. Les entreprises ont ici une responsabilité immense : celle de construire des ponts entre les segments, non seulement pour maximiser leurs profits, mais aussi pour participer à la consolidation d’une société plus juste et harmonieuse. Les erreurs, comme l’oubli d’un segment ou la simplification abusive d’un message, ne sont pas seulement des échecs commerciaux ; elles sont des atteintes à un équilibre fragile.
Dans cet exemple fictif mais plausible, le riz devient bien plus qu’un produit de consommation courante. Il est une métaphore de la Mauritanie elle-même : multiple, complexe et interdépendante. En comprenant cela, en intégrant cette vérité dans chaque étape de leur stratégie, les entreprises peuvent dépasser le simple cadre du commerce pour devenir des acteurs de transformation sociale. Et c’est là que réside la véritable puissance du marketing : non pas dans sa capacité à vendre, mais dans son potentiel à unir.
Coach Oumar Sy
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